L’IA en santé s’invite en séance interparlementaire européenne
publié le 5 février 2024
Fin janvier, une séance interparlementaire organisée dans le cadre de la présidence belge de l’UE au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles avait pour thème l’intelligence artificielle et ses impacts futurs. Y ont participé une centaine de parlementaires (États-membres de l’UE, Parlement européen, pays candidats ou observateurs), sur invitation de la présidence de la Commission des affaires européennes qu’assume le président du Parlement de Wallonie.
L’une des sessions de la journée fut consacré aux implications de l’IA dans le secteur de la santé et des soins. Quels sont les opportunités et les défis, voire les risques de l’IA dans le secteur de la santé ?
Intervenants : Christie Morreale, ministre de la santé pour la Région wallonne ; Giovanni Briganti, titulaire de la chaire Intelligence artificielle et médecine dgitale à l’UMons et directeur du groupe de travail AI4Health de AI4Belgium ; et Stéphane Lefebvre, CEO de Zorgi, précédemment directeur général du CHR Verviers East Belgium.
Au rayon opportunités…
Les trois intervenants ont cité – ou rappelé – quelques exemples d’impacts positifs que l’IA devrait engendrer dans le secteur des soins de santé :
- aide au diagnostic
- prédiction médicale
- aide à la prévention pour des conseils plus personnalisés
- monitoring à distance des pathologies (notamment dans le registre du maintien à domicile via domotique et analyse comportementale)
- implémentations en imagerie médicale, par exemple recours à des outils IA au service des urgences pour détecter la probabilité d’une fracture, induisant des avantages de gain de temps, parfois de qualité du diagnostic (qui doit nécessairement être validé par un médecin) et accélération de la mise en oeuvre du traitement
Exemple donné par la ministre Christie Morreale en matière de prévention, un projet soutenu par le Plan de relance de la Wallonie qui vise à favoriser le le maintien et l’aide à domicile via installation de capteurs, dont les données seront interprétées par l’IA. Des prototypes seront développés à court terme (et le projet comporte in volet d’analyse des implications éthiques) dans l’espoir d’une commercialisation d’ici deux ans.
En prédiction, dans le cadre de la politique de santé publique, le croisement des données biologiques avec celles concernant l’environnement (de vie), ouvre la possibilité d’un ciblage plus précis de la population à suivre, de manière plus personnalisée.
Autre exemple : le développement d’un modèle de “signaux” détectés chez des patients ou personnes potentiellement à risque de développer des problèmes d’ordre mental. Ces “signaux” sont par exemple une réduction de la durée de sommeil, ou des troubles ou instabilité de l’humeur, avertissant qu’une consultation médicale est souhaitée.
Le rôle du politique
Ces opportunités et avancées nécessitent un terreau propice. Comme dans bien des domaines et dossiers, le politiquer aura un rôle à jouer pour les favoriser. En début de journée, Antonin Descampes, professeur en journalisme à l’UCLouvain et chercheur au MiiL (Media Information and Intelligibility Lab), rappelait que « l’innovation est absolument une question politique. Mais c’est aussi une responsabilité citoyenne. Ces derniers doivent se sentir engagés dans l’innovation par la régulation. Le financement est également éminemment politique puisque cela permet de décider dans quelle société on désire vivre demain. »
Autre exemple d’intervention attendue évoquée parGiovanni Briganti : celui du remboursement des dispositifs et solutions e-santé : « Si on veut que la médecine digitale avance, il faut mettre en place des remboursements de technologies médicales pour le citoyen. Plusieurs modèles sont en train de se mettre en place. En Belgique, par exemple, les mutuelles sont conscientes qu’en apportant des solutions digitales, on peut alléger le trajet de soin du patient et donc qu’il est possible de réaliser des économies, tant pour elles-mêmes que pour le traitement du patient.
Sans remboursement, les entrepreneurs qui développent des technologies médicales digitales vont se décourager. Le marché étant limité en Europe, les voies de commercialisation de leurs produits vont diminuer. De même que le bénéfice pour le citoyen. Parce que les produits viendront d’ailleurs, de pays où ils sont remboursés. Et nous aurons donc une perte de valeur pour nos pays. »
Au rayon risques IA
Les différentes avancées autorisées par l’IA ne sauraient être envisagées et permises sans exploiter les impacts (plus) négatifs, voire délétères. La question de la protection de la donnée et de la vie privée a bien entendu été évoquée lors de la séance interparlementaire. Au-delà de la protection se pose celui de la qualité et de la provenance des données.
Le professeur Antonin Descampes rappelait que l’un des écueils ou dangers est celui des discriminations, des biais véhiculés par les grands modèles de langage (LLM) ou les grands modèles de génération d’images.
L’un des défis majeurs qu’implique l’IA est et sera de réussir à « réguler avant, à anticiper les impacts et conséquences potentielles des avancées technologiques ».
Christie Morreale : « Ce serait hasardeux de s’engager dans des autorisations d’utilisation des données à des fins d’IA alors que les hôpitaux sont la cible de cyber-attaques et ne sont pas en mesure de protéger suffisamment leurs données” Avoir tout d’abord la garantie que ces données sont suffisamment protégées ».
Il faut donc définir un cadre – éthique, régulatrice, voire juridique.
Si, comme le rappelait Stéphane Lefebvre (Zorgi), Il existe des garde-fous (comité de bioéthique, certification préalable des medical devices…), il faut les renforcer, notamment parce que l’essor de l’IA induit une nouvelle dimension.
Un équilibre difficile à trouver, en particulier vu du point de vue des “industriels” : « Il faut réguler, si possible avant que les choses n’arrivent, mais il ne faut pas négliger le potentiel avantage, sur les coûts de fonctionnement des hôpitaux et sur les tâches des soignants.
En fluidifiant les tâches administratives, on simplifie aussi le travail de l’infirmière. Du moins son volet administratif. L’IA, à cet égard, permet de gagner du temps et de libérer d’une série de tâches. »
Reste que les garde-fous existants ne sont pas toujours suffisants. Giovanni Briganti signalait par exemple que des outils, des solutions sont aujourd’hui utilisées dans les hôpitaux « dont la pertinence, la précision n’est pas préalablement établie par un comité central de validation [par une institution nationale], d’un point de vue efficacité ».
Et d’ajouter : « il s’agit de prouver qu’un logiciel est non seulement efficace au moment où il a été produit mais aussi au moment où il est réellement utilisé. Et ce, avec la même attention qu’on accorde par exemple aux médicaments. »
Il s’agit par ailleurs de valider les modèles IA, en connaissant et pouvant vérifier les données sur base desquelles ils ont été créés et entraînés. Chose qui, par exemple dans le domaine du développement de nouveaux médicaments, n’est pas encore possible ou assurée. Ce qui pousse les agences des médicaments, en Europe, à refuser pour l’instant qu’un nouveau médicament soit mis sur le marché si son développement est passé par une étape d’essai clinique reposant sur l’IA (exclusivement).
Impératif connexe : que les compétences, par les professionnels qui utilisent ces outils, soient au rendez-vous. Ce qui pointe vers la nécessité de formations adéquates et suffisantes.
Avec en plus la question de l’acceptabilité par les professionnels et les bénéficiaires, ajoutait Christie Morreale.
Et l’éthique?
Autre gros point souligné : l’éthique. Exemple cité, celui de la problématique de la carte d’identité génétique à la naissance pour déterminer les risques de développer telle ou telle pathologie ou de voir sa vie s’arrêter prématurément. Question posée : faut-il le savoir ou non ?
Par rapport aux perspective d’“humain augmenté”, le message que faisait passer Giovanni Briganti, appuyé par ses deux co-débatteurs (Christie Morreale et Stéphane Lefebvre) était que l’important, aujourd’hui et dans les années à venir, pour les acteurs de la société, les décideurs politiques et les professionnels, sera davantage d’avoir une vision humaniste de la technologie et non pas une vision trans-humaniste ou post-humaniste. L’IA doit rester au service de l’humain ». A méditer…
Stéphane Lefebvre soulignait d’ailleurs que c’est « le rôle des politiques, des parlements, des Etats, des gouvernements, de mettre en place des garde-fous, des comités éthiques. C’est aussi la grandeur de la politique : mettre des barrières par rapport au progrès ».